Hommage à Jean Noël - de Paul Bonhomme :

12 juil 2008 :

Deux hommes s’embrassent quelque part, sur un sommet, les larmes aux yeux.

J’ai écrit ses mots en pensant à toi Jeanno, à toi et à mon frère, au sommet du Mac Kinley, il y a 12 ans maintenant.

Maintenant, vous êtes tous les deux sur un autre sommet, quelque part, à vous fendre la poire, deux trapanelles, heureux de votre mauvais coup…

Bonjour à tous, je souhaiterais apporter mon témoignage des nombreuses années pendant lesquelles j’ai pu profiter de l’amitié sans faille de Jean-Noël. Je m’appelle Paul Bonhomme, et je suis le petit frère de Nicolas, que certains d’entre vous ont connu et qui est décédé voilà dix ans sur les pentes du G6 au Pakistan.

Ils s’étaient connus, avec Jean-Paul Cacha, à l’UCPA et travaillaient tous les trois comme moniteurs de ski. Mais ce n’est pas une rétrospective de leur vie que je veux vous donner ici.

Ce dont je veux vous parler, c’est d’une vision de la montagne et de la vie.

On en parlait souvent avec Jeanno, de la couillonnade, de cette revendication du droit à la nullité comme il disait.

Mais qu’est ce que cela veut dire au fait ?

Qu’est-ce que cela veut dire alors qu’il n’est plus là ? Alors qu’ils ne sont plus là ?

Revenons un peu sur la manière de faire, et de vivre la montagne.

Au Mac Kinley, ils étaient partis en autonomie totale, 40 kilos sur la pulka et 40 kilos sur le dos. Après leur ascension, il ne leur restait plus de vivre et il leur a fallu 6 jours pour revenir. L’engagement était total, sans compromis.

Jeanno n’était pas un grimpeur, il ne le revendiquait pas d’ailleurs, mais il fallait le suivre quand il faisait la pente centrale du Pelvoux en 10h00 aller-retour, ou encore lorsqu’il descendait les couloirs du glacier noir en courant à reculons les crampons aux pieds et les skis restés sur le dos à cause de mauvaises conditions.

Il n’était pas grimpeur mais il était montagnard, complètement.

Toujours des gros sacs et de la vitesse comme au Cho Oyu en 2005, arrivés le 4 septembre, nous étions au sommet le 20, soit 16 jours au total et une trace à faire au-delà de 7500m.

La manière était toujours là, au Shishapangma par exemple, où, à côté des cordes fixées par les espagnols depuis 15 jours, il skiait pour la première fois.

Il n’existe pas d’ambiguïté, cela s’impose comme une évidence : Jeanno fait parti des meilleurs alpinistes et himalayistes.

Mais alors, le droit à la nullité c’est quoi ?

C’est cette revendication qui sied mal à notre société et qu’il prônait au quotidien, de pouvoir faire de grandes choses sans se prendre au sérieux, de parfois faire demi-tour, voire souvent, de skier une pente à 50° et de s’offrir une pastissade derrière, de faire la fête, et d’aller faire 2000 mètres de dénivelée le lendemain, de prendre un cour de ski avec les minots l’après midi et d’aller faire une conférence relatant ses expéditions le soir à la Grave, devant des centaines de personnes, bref de ne pas chercher le toujours plus fort, le toujours mieux, mais la sincérité, la simplicité, l’authenticité, l’économie de moyen.

La montagne est une leçon de vie, si on la considère dans son ensemble, on comprend mieux. Il n’existe pas de meilleurs alpinistes, il existe juste des hommes qui aiment profondément la vie. Le but de mon frère, et celui de Jeanno, n’était pas d’être les meilleurs, mais c’était d’être heureux, de vivre leur rêves complètement, sans compromis, jusqu’au bout.

Même si il les respectait Jeanno ne comprenait pas toujours les « mangeurs de graines », les stakhanovistes, bien sûr il s’entraînait lui aussi lorsqu’il le fallait, avec beaucoup de sérieux, mais il s’entraînait surtout au bonheur même dans l’échec.

« Nous avions des sacs un peu lourds » disait-il lors de la cérémonie des cristaux FFME il y a 2 ans, en parlant de sacs de trente kilos, « Nous étions un peu fatigués », il détestait la surenchère.

Faire de la montagne un bonheur pur et simple, sans paillette et avec si peu de gloire, voilà ce que tu voulais, avec toutes les contraintes que tu aimais aussi.

Jeanno, tu avais pris le relais de Nico dans ma vie, et ça n’a pas été facile hein, aller en montagne avec le petit frère de ton meilleur ami, mort là-haut. On en a parlé souvent, on a refait le monde tant de fois…

On avait la même conception de la vie, ce profond bonheur d’être en vie, de pouvoir vivre nos rêves et ceux de Nico en même temps. Au sommet de l’Everest, tu me l’a dis, tu as d’abord pensé à lui, parce qu’il aurait tant aimé être là avec toi. Et moi donc…avec vous.

Etre heureux d’abord, sans gloire ni honneurs, être libre et heureux.

Tu l’aimais tant cette montagne, elle te donnait tant, alors qu’elle t’avait tant pris.

Tu faisais parti de ces gens, rare, qui donnait leur amour et leur amitié complètement, sans concession.

En montagne c’était pareil, tu donnais tout.

Peu de gens auraient pu te suivre dans tes pastissades et dans tes tchoules, mais encore moins réussissaient à te suivre là haut.

Tu m’as donné ce privilège, alors que cela a dû te coûter si cher de partir avec moi, tant de souvenirs remontant à la surface à chaque pas.

Je t’aime Jeanno, comme ce frère qui est parti trop tôt, je t’ai aimé. Et comme lui, tu es parti trop tôt.

A nous à présent de continuer. Continuer à faire de la montagne et à vivre nos vies sans se prendre au sérieux, à aimer sans concession, comme tu savais si bien le faire.

« Je revendique le droit à la nullité ! » c’est ce que tu te plaisais à dire, parce que tu savais qu’il n’y a pas de gloire à trouver là-haut, juste un immense bonheur.

Et pour ça dans nos cœurs, tu resteras toujours le meilleur.

Paul Bonhomme